Janine Mignot Photographe et amie de la philo !

 

 

A l’âge de 12 ans, le nez au vent mais l’œil attentif, Janine Mignot étonne par le cadrage des photos de famille qu’elle fait avec son premier appareil.

A 20 ans, c’est en découvrant la Grèce que l’aventure des « arrêts sur image » commence avec autant d’évidence que de naturel. Lumière, couleur, cadre, l’œil saisit la photographie à faire avant qu’elle ne le soit.

Très vite l’affaire se précise, acquisition d’un appareil plus professionnel et découverte des techniques de développement.

Faire une photo commence par les errances du regard sur le monde jusqu’au surgissement d’une image qui s’impose. Faire une photo s’achève au sortir de la chambre noire : pour Janine Mignot on ne peut dissocier prise de vue et tirage.

En 1985, sans raison apparente, si le regard du photographe flotte encore sur le monde, les images n’y apparaissent plus… les appareils sont rangés et s’empoussièrent !

Il faudra attendre 2006 pour que, du monde, les images de nouveau s’imposent avec la nécessité de les fixer. Depuis, la photo commence toujours par ce surgissement venu du réel, suit le clic de l’appareil numérique puis celui de la souris … l’image ne sera exposée au regard de l’autre qu’à l’issue de ce voyage.

Aujourd’hui s’offrent à nous pas loin de 100 photographies, prélevées au fil du temps entre 2007 et 2014. Des séries sans en être, des tendances changeantes, reflets, flous, transparences. Certaine semble être l’œuvre d’un graveur, l’autre d’un peintre, celle-ci un collage, celle-là venir d’un autre siècle…. le regard du spectateur se laisse surprendre par ce que l’œil de Janine Mignot pointe du monde.

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Pavillon de l’Erable à Avon

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A Larchant, nous avons choisi d’exposer une des photographies de Janine Mignot à la mairie (de gauche à droite, Laurence Manesse Cesarini, Janine Mignot et Vincent Mével)

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Une très belle exposition, de magnifiques photographies, pleines de poésie… un regard bien particulier qui emporte le nôtre pour une vision du monde tout autre.

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A droite Janine Mignot
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la série des murs

 

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dans le Pavillon de l’Erable

 

 

Apéro Philo – Larchant – dimanche 25 janvier 2015

à Larchant donc...
à Larchant donc…

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Nature et technique, y a-t-il un maître ?

Par Laurence Manesse Cesarini, essayiste, professeure de philosophie… pour la philo – Présentation des Cassés-collés d’Hubert Duprat (photos Frédéric Delpech)… pour les arts

Sans la technique nous pouvons sans doute affirmer que l’homme n’aurait pu développer son humanité. C’est en effet grâce à la technique qu’il a pu survivre et se développer à travers les âges.

« A quelle date faisons-nous remonter l’apparition de l’homme sur la terre ? Au temps où se fabriquèrent les premières armes, les premiers outils. On n’a pas oublié la querelle mémorable qui s’éleva autour de la découverte de Boucher de Perthes dans la carrière du Moulin-Quignon. La question était de savoir si l’on avait affaire à des haches véritables ou à des fragments de silex brisés accidentellement. Mais que, si c’étaient des hachettes, on fut bien en présence d’une intelligence, et plus particulièrement de l’intelligence humaine, personne un seul instant n’en douta. Ouvrons d’autre part, un recueil d’anecdotes sur l’intelligence des animaux. Nous verrons qu’à côté de beaucoup d’actes explicables par l’imitation, ou par l’association automatique des images, il en est que nous n’hésitons pas à déclarer intelligents ; en première ligne figurent ceux qui témoignent d’une pensée de fabrication, soit que l’animal arrive à façonner lui-même un instrument grossier, soit qu’il utilise à son profit un objet fabriqué par l’homme. Les animaux qu’on classe tout de suite après l’homme au point de vue de l’intelligence, les Singes et les Eléphants, sont ceux qui savent employer, à l’occasion, un instrument artificiel. Au dessous d’eux, mais non pas très loin d’eux, on mettra ceux qui reconnaissent un objet fabriqué : par exemple le Renard, qui sait fort bien qu’un piège est un piège. Sans doute, il y a intelligence partout où il y a inférence ; mais l’inférence, qui consiste en un fléchissement de l’expérience passée dans le sens de l’expérience présente, est déjà un commencement d’invention. L’invention devient complète quand elle se matérialise en un instrument fabriqué. […] En ce qui concerne l’intelligence humaine, on n’a pas assez remarqué que l’invention mécanique a d’abord été sa démarche essentielle, qu’aujourd’hui encore notre vie sociale gravite autour de la fabrication et de l’utilisation d’instruments artificiels, que les inventions qui en jalonnent la route du progrès en ont aussi tracé la direction. »

Bergson (1859-1941), L’évolution créatrice, 1907

Si Platon nous rapporte le fameux mythe de Prométhée dans son Protagoras, cette prise de pouvoir sur le monde naturel par le biais de la technique répond à une injonction divine que l’on trouve dans l’ancien testament à la fin du premier chapitre de la Genèse.

« Dieu dit : faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur ta terre ».

Le développement fulgurant des techniques aujourd’hui pose de graves problèmes entre la capacité que nous avons de détruire toute possibilité de vie sur terre de manière radicale (l’arme nucléaire) ou plus progressive (conséquences écologiques).

C’est alors aussi notre responsabilité qui est en jeu et on pourrait se poser la question de savoir si respecter la nature n’est pas devenu un devoir !

Mais ne faut-il pas encore entendre Bergson, ou Kant, et revenir à la nature qui est en nous ?

 « Enfin, pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes. Mais de loin en loin, par distraction, la nature suscite des âmes plus détachées de la vie […]. Je parle d’un détachement naturel, inné à la structure du sens et de la conscience, et qui se manifeste tout de suite par une manière virginale, en quelque sorte, de voir, d’entendre ou de penser. Si ce détachement était complet, si l’âme n’adhérait plus à l’action par aucune de ses perceptions, elle serait l’âme d’un artiste comme le monde n’en a jamais vue encore. »

Bergson, Le rire, 1900

Apéro Philo – Larchant – dimanche 19 octobre 2014

QUE SUIS-JE ? QUI SUIS-JE ?

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Tableau de Armelle Renaud (photo Janine Mignot)

Lorsque j’ai proposé ces questions à mes élèves en leur demandant s’ils voyaient une différence entre les deux, la réponse spontanée fut celle-ci :

L’élève : « Ben oui Madame ! »

Moi : « Bien ! laquelle ? »

L’élève : « Ben il y a une voyelle qui change ! »

Moi : « En effet, entre les deux une voyelle a changé, c’est bien observé ! Mais qu’en est-il du sens ? »

Les élèves : « ? »

C’est ainsi que ça a commencé !

Alors je suis allée chercher ces petites phrases que l’on aime bien !

Je suis un être auteur de ses actes et de ses pensées, en ce sens je suis un être libre !

« L’homme est condamné à être libre » Jean-Paul Sartre

Mais d’abord je suis un être qui a conscience de lui-même

« Je pense donc je suis » Descartes

Et surtout ces textes qui nous aident à penser….

Extraits

« … il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues jusqu’alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences. » Descartes, 1ère Méditation.

« … et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : je pense, j’existe, est nécessairement vraie toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit. » Descartes, 2nd Méditation.

« L’esprit est une sorte de théâtre, où des perceptions diverses font successivement leur entrée, passent, repassent, s’esquivent et se mêlent en une variété infinie de positions et de situations. Il n’y a pas en lui à proprement parler de simplicité à un moment donné, ni d’identité à différents moments. » Hume, Traité de la nature humaine.

« Il est des philosophes qui imaginent que nous sommes à chaque instant intimement conscients de ce que nous appelons notre moi, que nous en sentons l’existence et la continuité d’existence, et que nous sommes certains, avec une évidence qui dépasse celle d’une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. La sensation la plus forte, la passion la plus violente, disent-ils, loin de nous détourner de cette vue, ne la fixent que plus intensément et nous font considérer, par la douleur ou le plaisir qui les accompagne, l’influence qu’elles exercent sur le moi. Tenter d’en trouver une preuve supplémentaire serait en atténuer l’évidence, puisqu’on ne peut tirer aucune preuve d’un fait dont nous sommes si intimement conscients, et que nous ne pouvons être sûrs de rien si nous en doutons […].

Pour moi, quand je pénètre plus intimement dans ce que j’appelle moi-même, je tombe toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaleur ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne parviens jamais, à aucun moment, à me saisir moi-même sans une perception et je ne peux jamais rien observer d’autre que la perception. Quand mes perceptions sont absentes pour quelques temps, quand je dors profondément, par exemple, je suis, pendant tout ce temps, sans conscience de moi-même et on peut dire à juste titre que je n’existe pas. »

David Hume, Traité de la nature humaine, Livre I.

« Dans le sommeil je suis tout ; mais je n’en sais rien. La conscience suppose réflexion et division. La conscience n’est pas immédiate. Je pense, et puis je pense que je pense, par quoi je distingue Sujet et Objet, Moi et le monde. Moi et ma sensation. Moi et mon sentiment. Moi et mon idée. C’est bien le pouvoir de douter qui est la vie du moi. Par ce mouvement, tous les instants tombent au passé. Si l’on se retrouvait tout entier c’est alors qu’on ne se reconnaîtrait pas. Le passé est insuffisant, dépassé. Je ne suis plus cet enfant, cet ignorant, ce naïf. A ce moment-là j’étais autre chose en espérance, en avenir. La conscience de soi est la conscience d’un devenir et d’une formation de soi irréversible, irréparable. Ce que je voulais je le suis devenu. Voilà le lien entre le passé et le présent, pour le mal comme pour le bien.

Ainsi le moi est un refus d’être moi, qui en même temps conserve les moments dépassés. Se souvenir, c’est sauver ses souvenirs, c’est se témoigner qu’on les a dépassés. C’est les juger. Le passé, ce sont des expériences que je ne ferai plus. Un artiste reconnaît dans ses œuvres qu’il ne s’était pas encore trouvé lui-même, qu’il ne s’était pas encore délivré ; mais il y retrouve aussi un pressentiment de ce qui a suivi. C’est cet élan qui ordonne les souvenirs selon le temps. »

Alain, Manuscrits inédits.

« Car nous voulons dire que l’homme existe d’abord, c’est-à-dire que l’homme est d’abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, un pourriture ou un chou-fleur ; rien n’existe préalablement à ce projet ; rien n’est au ciel intelligible, et l’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être.

Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme.

Petite bibliographie

Clément Rosset, Loin de moi, étude sur l’identité, Editions de minuit