Si on peut admettre que c’est dans l’art que la vérité d’une époque se manifeste, si on accepte l’idée que les nouvelles technologies et les progrès fulgurants qu’elles connaissent nous déterminent d’une certaine manière, n’est-il pas dans l’ordre des choses que les artistes s’en saisissent ?
Tout commence avec la main… Aristote n’en disconviendra pas ! C’est elle qui rend possible la fabrication d’outils la complétant ou la renforçant.
« Ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais parce qu’il est le plus intelligent des êtres qu’il a des mains. En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main. Aussi ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé des animaux (parce que dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir. » Aristote, Les parties des animaux
Et la technique se développe et l’homme se rend « maître et possesseur de la nature » comme le suggérait Descartes. L’homme façonne le monde à son image et par là se transforme lui-même… mais toutes ses activités ne visent pas l’utile. Quelque chose en lui, une sensibilité sans être sensiblerie, le pousse à être attentif à la beauté du monde et à tenter de la produire !
« Remarquons que l’artiste a toujours passé pour un « idéaliste ». On entend par là qu’il est moins préoccupé que nous du côté positif et matériel de la vie. C’est, au sens propre du mot, un « distrait ». Pourquoi, étant plus détaché de la réalité, arrive-t-il à y voir plus de choses ? On ne le comprendrait pas, si la vision que nous avons ordinairement des objets extérieurs et de nous-mêmes n’était une vision que notre attachement à la réalité, notre besoin de vivre et d’agir, nous a amenés à rétrécir et à vider. De fait, il serait aisé de montrer que plus nous sommes préoccupés de vivre, moins nous sommes enclins à contempler, et que les nécessités de l’action tendent à limiter le champ de la vision. (…) Mais, de loin en loin, par un accident heureux, des hommes surgissent dont les sens ou la conscience sont moins adhérents à la vie. La nature a oublié d’attacher leur faculté de percevoir à leur faculté d’agir. Quand ils regardent une chose, ils la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perçoivent plus simplement en vue d’agir ; ils perçoivent pour percevoir, – pour rien, pour le plaisir. Par un certain côté d’eux-mêmes, soit par leur conscience, soit par un de leurs sens, ils naissent détachés ; et selon que ce détachement est celui de tel ou tel sens, ou de la conscience, ils sont peintres, sculpteurs, musiciens ou poètes. C’est donc bien une vision plus directe de la réalité que nous trouvons dans les différents arts ; et c’est parce que l’artiste songe moins à utiliser sa perception qu’il perçoit un plus grand nombre de choses. » Bergson, La pensée et le mouvant
L’art est inutile et pourtant il est liberté et pensée. Il serait même ce qui révèle la « vérité d’une époque » !
« En prétendant que l’imitation (de la nature) constitue le but de l’art, que l’art consiste par conséquent dans une fidèle imitation de ce qui existe déjà, on met en somme le souvenir à la base de la production artistique. C’est priver l’art de la liberté, de son pouvoir d’exprimer le beau. L’homme peut certes avoir intérêt à produire des apparences comme la nature produit ses formes. Mais il ne peut s’agir que d’un intérêt purement subjectif, l’homme voulant montrer son adresse et son habilité, sans se soucier de la valeur objective de ce qu’il a l’intention de produire. Or, un produit tire sa valeur de son contenu, dans la mesure où celui-ci participe de l’esprit. Tant qu’il imite, l’homme ne dépasse pas les limites du naturel, alors que le contenu doit être de nature spirituelle […]. Si l’on veut assigner à l’art un but final, ce ne peut être que celui de révéler la vérité, de présenter d’une façon concrète et figurée ce qui s’agit dans l’âme humaine. » Hegel, Esthétique
Quand l’art est devenu critique, cynique et forme de résistance au début du siècle dernier, il s’est emparé des objets techniques pour en faire des œuvres, et aujourd’hui il s’empare des techniques comme mode d’expression.
Pourquoi l’impression 3D aurait-elle échappé à la règle ? Les artistes s’en saisissent aussi ! La question qui semble à nouveau frais se poser : est-ce encore de l’art ?… Dario Santacroce, artiste plasticien, sculpteur, ne se la pose pas quant à lui. L’impression 3D est un mode d’expression comme un autre. Le problème n’est pas là ! Il recherche la forme parfaite… la perfection dans la forme… La 3D permet d’approcher davantage de cette perfection !
Objection du public : « Mais la perfection n’est pas humaine ! »
Aristote (384-322 avant J.-C.), philosophe grec, disciple de Platon à l’Académie, il est l’un des penseurs les plus influents que le monde ait connu. Chez Aristote, la philosophie est comprise dans un sens plus large qu’aujourd’hui. Elle est à la fois recherche du savoir pour lui-même, contemplation et science des sciences.
Hegel, né le 27 août 1771 à Stuttgart il meurt le 14 novembre 1831 à Berlin. Philosophe allemand, il enseigne la philosophie sous la forme d’un système de tous les savoirs.
Henri Bergson, né le 18 octobre 1859 à Paris où il meurt le 4 janvier 1941. Philosophe français, prix Nobel de littérature en 1927, son œuvre, entrée dans le domaine public le 1er janvier 2012, est étudiée dans différentes disciplines : cinéma, littérature, philosophie, neuro-psychologie… il était déjà trans disciplinaire !
Les photographies sont de Janine Mignot – Remerciement à Sophie Lamit pour son accueil dans l’espace atelier de l’Escapade à Larchant.